Une croisière sur un fleuve européen
Un jour Jojo proposa à René qui ne savait pas où passer ses vacances d'aller faire une croisière sur le Rhin ; René s'empressa d'accepter. Donc le 15 Juillet 1994 à 12H, Jojo et Bernadette viennent pour chercher René au Peux, un hameau des Deux-Sèvres, au bord de la route de Nantes entre Bressuire et Mauléon. Une communauté Emmaüs voisine a prêté à Jojo un minibus. Jojo cherche désespérément les clés de ce véhicule partout dans la communauté, le mystère s'éclaircit quand Bernadette découvre les clés sur la table de cuisine de René. C'était un membre de cette communauté qui les avait déposées sans rien dire.
En passant en Vendée vers 12H45 Bernadette et Jojo récupèrent Mimile de Mortagne, Rosita (une accompagnatrice) avec notre ami Louis. Ils étaient pressés de monter dans le minibus. Nous nous dirigeons sur Cholet où nous attend Armand prêt et tout souriant de faire cette croisière. Paris est à 500Km, le soleil et la chaleur étaient avec nous. Arrivés à Paris nous allons au centre d'accueil où se fait le rassemblement des participants du voyage, ils viennent de plusieurs régions de France. On met les sacs de voyage dans les chambres. Mimile et René ont partagé la même chambre comme à bord de l'Olympia le bateau de la croisière. Le lendemain tout le monde se lève tôt pour prendre à 10H30 le train à la gare du Nord, Jojo est reparti pour les Deux-Sèvres. Les handicapés attendent sur le quai leur tour pour monter dans les wagons à l'aide d'un escaladeur portatif. Rosita, Bernadette, une dame, Mimile et René occupent le même compartiment. Le train démarre en prenant la direction de la Belgique ; à 12 H un déjeuner nous est servi. Nous arrivons à la gare de Bruxelles sud, le chef douanier avait un képi rouge et or comme les anciens officiers français. Nous passons à Bruxelles nord, là les annonces sont en flamand. Le train franchit la frontière hollandaise. La Hollande est un pays plat. On voit énormément de vaches dans les prés et nous apercevons quelques moulins. A Amsterdam, Susanne, une jeune hollandaise amie de Bernadette était sur le quai de la gare. Ce fut un instant émouvant : les amies se jetèrent dans les bras de l'une et l'autre, toutes émues ; des larmes coulèrent, celles-ci étaient tellement abondantes qu'on fut obligé d'appeler les pompiers pour pomper ce liquide.
Notre bateau nous attendait à quelques minutes de la gare d'Amsterdam. Susanne a poussé le fauteuil roulant de René qui lui demanda si c'était un des bras du Rhin où était l'Olympia. Susanne répondit que c'était une rivière qui s'appelle (bizarrement) en français l'oeuf. A la passerelle l'équipage nous accueillit. L'Olympia est un vrai hôtel flottant avec sa salle à manger où se trouve un bar. A l'autre bout du bateau on trouve la coursive ; de chaque côté de celle-ci sont les cabines qui ont chacune deux couchettes, un WC et une douche. On peut monter sur le pont ou descendre au salon par trois escaladeurs incorporés au bateau. Le soir on nous a servi un très bon repas et du champagne ; Susanne dîna avec nous. A bord de l'Olympia la cuisine est excellente.
17 Juillet la croisière commença. On largua les amarres pour Nimègue où l'Olympia fit escale. Des membres de la croix rouge hollandaise nous guidèrent à travers les rues de la ville et certains poussèrent aimablement les fauteuils roulants. C'était un jour de fête, il y avait des baraques foraines sur les quais. Une foule se pressait dans les rues, il y avait des étrangers au type asiatique à la peau plus ou moins brune. Un d'entre eux jouait du vibraphone, un peu plus loin il y avait un hollandais qui possédait un orgue de barbarie magnifiquement décoré. Nimègue est construite en briques rouge, patinées par le temps et même en certains endroits le sol est pavé des mêmes briques ; les maisons ont des façades étroites à plusieurs étages. Partout règne une grande propreté. Après le dîner, des jeunes de Nimègue et Gérard ont joué une pièce de théâtre.
Sur le Rhin il y avait un trafic très important : on voit des chalands chargés de marchandises qui naviguent sous pavillon hollandais, belge, allemand ou suisse. Ils se croisent en remontant ou descendant le courant. De nombreuses mouettes volent au-dessus du fleuve tandis que des canards et des cygnes nagent en liberté. L'Olympia glissait sur les eaux en faisant des petites vagues qui allaient s'écraser contre les berges.
Cette croisière est le plus long voyage en pays étranger que René a fait. Evidemment il est très content et il a aussi apprécié la liberté d'opinion chez les petits frères des pauvres, malgré leurs origines religieuses. Dans cette association, on appelle les personnes âgées "des vieux amis". Ils sont venus d'horizons différents : des hospices, des services de longs séjours ou des maisons de retraite. Ils étaient 67, ils n'ont pas de famille et sortent presque pas ou pas du tout de leurs établissements où ils sont plus ou moins bien. Les accompagnateurs au nombre de 40, ont dans la vie des activités diverses.
Quelques uns vont se présenter eux-mêmes.
Voici Pascal :
J'ai 22 ans et je vis dans la banlieue parisienne à Ballancourt. Je fais mes études à Paris et j'y habite la semaine.
Pourquoi j'y suis venu ? Je crois que j'ai vu de la lumière, ça avait l'air sympa alors je suis entré. En plus, apparemment on boit bien et pas que de l'eau.
Pascal
Myriam est reporter photographe, elle a photographié les passagers sur toutes les coutures, pour faire un reportage photo pour la fédération des petits frères des pauvres.
Elle nous livre ses impressions de la croisière :
J'ai aimé les matins heureux et le silence immobile du paysage. J'ai aimé le sourire sur le visage de quelques-uns, attentifs, émerveillés, généreux.
J'ai aimé le bonheur d'Albertine, les éclats de rires de René, la douceur de Louise et la gaieté d'Alfred, j'ai eu le ventre noué par les larmes de Fernande.
J'ai été révoltée par la bêtise de ceux-là même qui ne savent pas ce que donner veut dire, qui ignorent que la morale existe ou plutôt qui confondent morale et bonne conscience.
Et puis de temps à autre j'ai regardé avec mon oeil sensible et j'ai volé une image à ce putain de temps qui passe si vite.
J'ai vu des gestes, entendu des mots qui disent encore que tout cela vaut la peine d'être vécu ; de la peine, oui, à tous les sens de cette expression.
Pourquoi je suis là ? Je ne sais plus. Si parce que ma grand-mère me manque, parce que la peau des vieux est douce et qu'elle raconte des histoires, des passés, des vies, et même un devenir. C'est ça qui est beau. Et puis quoi encore ? J'ai aimé prendre le temps sur le pont, à ne rien dire, être auprès de vous, tranquille, être bien, ensemble. Voilà.
J'avais envie d'être là, j'ai été contente, pas contente, contente à me demander toujours si cela n'est pas de l'esbroufe et pourtant non, je crois que c'est bien.
Il y avait un groupe d'infirmières, six étaient de Rouen et une de Paris. Elles avaient un stage à faire dans des établissements ou sur l'Olympia. L'une d'elles, Sandrine, a écrit ces quelques lignes sur la croisière. Les voici :
Je suis venue faire cette croisière sans connaître et avec un peu d'appréhension. Cette appréhension a très vite disparu car j'ai découvert une autre image, positive, de la personne âgée même très handicapée.
Sandrine
Bernadette travaille dans un centre pour handicapés mentaux en Vendée où se trouve Mimile. Pendant la croisière elle s'occupait de lui et de René, Sandrine l'aidait. Rosita s'occupait de Louis et d'Armand. Il y avait aussi Madeleine qui avait un solide appétit, une bonne descente elle était toujours de bonne humeur. Les accompagnateurs étaient tous des bénévoles.
Il y avait sur l'Olympia beaucoup de monde, les bénévoles et les vieux amis faisaient 107 personnes plus l'équipage, peut-être une dizaine de personnes très sympathiques ; c'était impossible de reconnaître tant de gens en si peu de temps, c'est regrettable mais il est bien évident qu'on ne peut pas mettre sur pied une telle organisation pour quelques personnes car cette croisière a dû coûter une fortune. Ce voyage fut organisé par les petits frères des pauvres mais financé par des entreprises.
Le 18 Juillet au matin le mécanicien de l'Olympia mit les moteurs en marche de très bonne heure. Le navire vibra et il prit la direction de l'Allemagne, il faisait encore nuit.
Lorsque le jour s'est levé on pouvait voir du bateau la Ruhr défiler avec ses usines et ses haut-fourneaux. On arriva à Cologne le soir ; cette soirée fut animée par les accompagnateurs. Le lendemain le paysage changea, il devint montagneux, de nombreux châteaux occupaient les hauteurs. Sur les pentes, des vignes apparurent en terrasse. Il y eut une soirée hollandaise, les membres de l'équipage avaient des costumes folkloriques. Ils ont chanté et dansé.
D'autres soirées suivirent : un soir on a passé des enregistrements d'avant et d'après la guerre. Sans doute que pour les jeunes c'était de la préhistoire. Mimile qui n'est pas très grand a dansé avec le commissaire du bord, une femme d'une taille gigantesque, au moins 1 mètre 90. Il y eut aussi le dîner du capitaine, tout le monde était sur son trente un. A une autre soirée le personnel de l'Olympia s'est déguisé en pirates.
Le 20 juillet nous accostons à Coblence où un petit train pour touristes nous a fait visiter la ville. Cette ville a été fondée par les Romains il y a 2000 ans, il reste beaucoup de monuments qui datent de l'époque romaine. Une association de personnes âgées formait un orchestre ; nous avons eu le plaisir de le recevoir à bord de l'Olympia. Il nous a interprété des airs russes et français.
Un jour en Allemagne René qui est français commanda à un barman qui est hollandais du Porto qui vient du Portugal sur un bateau qui est suisse et qui a un nom grec (l'Olympia). Comme c'est beau la communauté européenne.
A la fin d'un déjeuner, René sentit qu'il lui fallait mettre un stop pour les boissons alcoolisées ; Sandrine lui demanda pourquoi il ne buvait plus, René répondit deux verres ça va trois verres bonjour les dégâts.
Le lendemain d'une certaine soirée particulièrement arrosée dont René avait eu des échos, celui-ci prit hypocritement son air le plus naïf pour demander à Rosita : "Comment ça va ?".
Le 20 juillet nous sommes sur la Moselle, notre petit navire traversa plusieurs écluses, de véritables ascenseurs pour bateau. Les collines étaient maintenant complètement couvertes de vignobles. A Cochem la reine du vin est venue à bord de l'Olympia avec ses demoiselles d'honneur, elle nous a offert des petites bouteilles de vin de la Moselle.
Le 21 juillet au soir l'Olympia s'arrêta à Bernskastel : là a eu lieu le dîner du capitaine. Le lendemain nous arrivons à Trèves où attendaient des cars qui étaient accessibles aux fauteuils roulants car leur carrosserie se baissent et se remontent. Ces véhicules nous conduisirent au siège d'une petite association d'handicapés, où on nous a servi un goûter en musique. René a voulu savoir dans quelles conditions vivaient les handicapés allemands. Bernadette alla chercher une jeune personne qui avait des difficultés à marcher, elle parlait parfaitement le Français. Elle répondit aux questions que René lui posait.
En Allemagne les handicapés perçoivent une allocation plus ou moins importante suivant le degré du handicap (comme en France).
Il y en a qui vivent regroupés en communauté ou chez eux aidés par des auxiliaires de vie (comme en France).
Il y a aussi des foyers pour handicapés (comme en France).
René n'a pas compris s'il y avait des handicapés qui vivaient dans des hospices ou dans des services de longs séjours car la musique était trop forte et gênait la conversation. L'horaire nous pressait aussi, nous sommes remontés dans les cars pour retourner sur l'Olympia.
C'était la dernière soirée à bord de notre bateau. Nous avons fait la fête, Bernadette s'était déguisée en clown et Rosita composa sur le piano de la salle à manger une chanson à la gloire de la croisière, sur l'air de la ballade des gens heureux. Nous avons l'honneur de publier cette immortelle chanson qui va traverser des siècles et des siècles d'histoire
Chanson de l'Olympia
Nous venons chanter la croisière sur l'Olympia, ce beau bateau nous venons chanter la croisière, la croisière des amis heureux (bis)
Adieu à la Moselle, adieu à l'Olympia et son équipage qui nous faisait des signes sur le pont. Rainata, Jérôme et les autres ont été d'une grande gentillesse. Après le déjeuner Pascal et Sandrine sont venus dire au revoir à René qui appelait cette dernière sa bichette.
Par la vitre René voyait le paysage se dérouler ; il savait où il se trouvait en lisant les panneaux.
Les cars se séparèrent pour suivre chacun leur route. Rosita, Louis, Armand, Bernadette, Emile et René arrivèrent au centre d'accueil à Paris où ils passèrent la nuit. Le 24 Juillet ils s'installèrent dans un minicar conduit par le trésorier des Petits Frères des Pauvres de la Vendée. Le voyage Paris les Deux-Sèvres se déroula sans incident, René descendit devant chez lui avec Bernadette tandis que le minicar continuait son chemin avec Rosita, Armand et Louis.
Cette croisière fut pour René des vacances et un voyage instructif, et puis cela l'a fait sortir des quatre murs de sa chambre.
Heureux celui qui comme Ulysse a fait un beau voyage.
René Chausboeuf alias Papy Pop