Chacun a ses opinions, chacun a son caractère
Dans la première partie de cette enquête, j'ai laissé la parole à ceux qui ont des convictions religieuses (nous sommes en démocratie) ; ils disent que cela les aide pour surmonter leurs difficultés et que c' est leur consolation. Maintenant, je vais parler des non-croyants qui rencontrent les mêmes problèmes. Gildas, un IMC en fauteuil, a été scolarisé à KERPARE, un grand centre de rééducation qui se trouve prés de Lorient. Je l'ai connu en 1974 au foyer APF de PARTENAY (Deux Sèvres). Il était et il est toujours comme moi, athée, et nos idées politiques étaient semblables. Il faisait partie d'un petit clan de jeunes, et malgré mon âge - je pouvais être leur père - je me joignis à eux. Gildas resta plusieurs années au foyer, et il prit des cours par correspondance. Il a réussi à avoir un appartement et une auxiliaire de vie à Lannester, dans la banlieue de Lorient. Il est devenu conseiller municipal. Cet été, j'ai eu la joie d'avoir sa visite ; lorsque je lui ai demandé s'il s'occupait des handicapés, il m'a répondu qu'il n'y avait pas que les handicapés, ce qui voulait dire qu'il était au service de tous.
Au mois d'Août de cette année, je suis allé à un stage de peinture organisé par l'Association "peindre avec la bouche et avec le pied" dans une communauté non religieuse de valides et de handicapés. Là, j'ai fait la connaissance d' Henri, de la Somme ; il est IMC, et ne peut se servir de ses bras ; il peint avec son pied. Un jour, il m'a dit que c'est difficile de croire en un dieu quand on ne croit pas en soi-même.
Sa mère m'a parlé de son enfance au centre ; il a eu mauvais moral pendant son adolescence et il n'osait plus sortir de chez lui. Après le stage, je lui ai envoyé une lettre dans laquelle je lui ai posé des questions. Il m'a répondu qu'il avait horreur de raconter sa vie. Henri a un diplôme de comptable informaticien, mais la peinture le passionne et il veut en faire son métier.
Je vais maintenant vous apporter mon témoignage personnel ; il n'est pas extraordinaire, je ne suis qu'un handicapé parmi tant d'autres, une goutte dans l'océan. Je suis né dans la banlieue de Paris. Ivry sur Seine et Maison Alfort, c'est mon coin. Mon père bossait en usine pour gagner la croûte de la famille, c'est à dire ma mère, mon frangin et moi, qui suis IMC paralysé et muet. Mon enfance passa en allant avec ma mère de toubib en toubib ; on allait aussi dans les hôpitaux aux heures de visites pour voir les professeurs entourés de leurs carabins. Un de ces grands patrons, sans doute, voulut faire une expérience sur moi et me donna des piqûres. J'avais 7 ou 8 ans, et je faillis crever. A la fin de l'après-midi ou j'avais eu ma piqûre, je vomissais mon sang à pleine bouche. Pendant la nuit, toute la famille était autours de mon lit car on croyait que j'allais avaler mon bulletin de naissance. Le médecin de famille m'a injecté du sérum de cheval. On m'a fait des rayons ultra violets et des massages et j'ai eu des appareils orthopédiques.
Vers ma treizième année, ma grand-mère (la mère de ma mère) qui était très croyante a eu l'idée géniale de m'envoyer à Lourdes. Cette brave femme poussa alors ma mère dans ce sens ; mon père, bien que complètement incroyant, laissa faire, jugeant que ma mère avait autant de droits sur moi que lui.
A cette époque, il y a soixante ans, il fallait être baptisé pour partir à Lourdes dans un convoi de malades. On me baptisa donc, après m'avoir appris quelques notions de caté, des prières et l'histoire de Bernadette Soubirou.
J'étais alors un petit garçon naïf qui croyait tout ce qu'on lui disait et qui ne cherchait pas à aller au fond des choses. Un beau matin, je partis dans un train de malades, et ma mère dans un train de pèlerins ; elle s'occupa de moi le plus possible pendant le séjour. Elle était descendue dans un hôtel ou elle prenait ses repas. J'étais dans une grande salle ou il y avait beaucoup de lits. On se couchait très tôt, ce n'était pas gai. Cela a bien changé paraît-il.
Au retour, nous avons voyagé de jour. C'était à peine si on ne m'avait pas dit que j'allais faire Lourdes-Paris en courant derrière le train tout en chantant à pleine voix Ave Ave Ave Maria. Ce miracle ne s'est pas produit.
Ma mère profita de sa lancée pour me faire faire ma première communion. Un jeune abbé en grand uniforme, c'est à dire en soutane et chapeau noir, est venu une fois par semaine pendant six mois pour m'apprendre le caté.
Il y a eu un autre miracle qui ne s'est pas non plus produit, c'est celui de la médecine. J'avais à peu près quatorze ans et demi ; deux toubibs ont exécuté mon cas devant moi, et ont conclu que j'étais incurable. C'était ma première grande désillusion.
Entre 16 et 17 ans, je commençais à souffrir moralement, je n'ai plus cru en l'existence d'un dieu. Comme disait mon père, s'il y avait eu un dieu, pourquoi t'aurait-il condamné à être infirme dès ta naissance ? Le chant, la danse, la guerre et des croyances de toutes sortes sont venues de la préhistoire, même si elles ont changé de forme. Les hommes sont restés les mêmes depuis des milliers et des milliers d'années. Les êtres humains ont inventé des divinités en croyant qu'ils sont protégés par ces mythes.
Jusqu'à trente ans, mon moral a été en montagnes russes ; j'avais l'impression que ma vie était en cul de sac au lieu d'être une route. J'ai toujours cherché à m'occuper. Je me suis intéressé aux animaux, j'ai dessiné et j'ai fait du modelage.
Maintenant, j'apprends à me servir d'un ordinateur, à 72 ans.
Je vais maintenant laisser la place à Serge :
En 1985, j'ai effectué un séjour de neuf mois dans un hôpital de convalescence où j'étais très bien traité sur le plan physique; mais il n'en était pas de même sur le plan psychologique. Les jours paraissaient tous se ressembler, et me semblaient interminables car je n'avais aucune occupation.
En 1986, j'ai opté pour une association qui compte plusieurs foyers de six ou sept personnes valides plus un ou deux handicapés. Dans ces foyers, les personnes valides sont chargées de l'entretien et de la cuisine, travaux d'aide aux personnes valides ou comme moi au cannage des chaises.
Les jours de repos, des loisirs ou des sorties sont organisés; les jours de fête, les repas sont pris avec tous les foyers réunis.
Une chambre individuelle nous laisse une autonomie complète et nous pouvons gérer nos affaires nous mêmes, et, si cela est nécessaire, demander l'aide de personnes compétentes.
Toutes ces occupations me permettent d'oublier mon handicap, de trouver les semaines moins longues, et de mener un vie presque ordinaire, d'avoir des contacts humains avec la vie extérieure.
Serge Jaunet